Cet article est écrit par Nicolas Bestard de l’association EnVies EnJeux. Dans le cadre de cette association, il anime différentes actions en direction des parents.
Si « être parent » change selon les époques, le jeu demeure le mode privilégié de communication et d’apprentissage de l’enfant : un temps consacré au plaisir, à l’apprentissage des relations à soi et aux autres, une ouverture possible sur l’imaginaire, la créativité… ainsi que le respect commun de règles acceptées le temps d’une partie. Compétitif, à structure paradoxale ou coopératif, le jeu se veut être un temps de lien et de complicité.
En famille, le jeu est un enjeu pour les enfants comme pour les parents, une rencontre mutuelle : les premier-e-s invitent les adultes à les rejoindre dans leur monde, et les seconds doivent parfois réapprendre une activité oubliée ou rejetée, souvent reléguée au rare « temps disponible » une fois l’organisationnel et le fonctionnel réalisés. Être parent demande du temps, de l’énergie et de la disponibilité. Jouer en famille est conçu comme annexe, anecdotique, pénible par certains parents. Pourtant, jouer est un besoin fondamental qui contribue – pour le pire ou le meilleur – à la qualité du lien.
Les jeux nous renvoient à nos pratiques relationnelles. Ils révèlent nos interactions familiales : si beaucoup de parents n’aiment pas jouer, c’est en partie parce qu’ils associent le jeu à des moments désagréables de leur passé : moquerie, humiliation, jeux inadaptés, directivité, exclusion… Les parents qui aiment jouer en famille associent cette activité à des séquences enchantées de leur enfance, à des temps précieux de lien et d’affection.
En ce temps de confinement susceptible de pousser parents et enfants à bout, les jeux peuvent constituer de discrets médiateurs qui favorisent rencontre mutuelle, décharge de stress, optimisme et gaieté…
Les jeux renforcent la qualité du lien, mais ils pointent aussi les mécanismes habituels qui régissent nos rapports. Les jeux compétitifs nous opposent, ce qui procure du plaisir à certain.e.s. Mais même symbolique, la confrontation ludique reproduit les attitudes de domination, soumission ou fuite qui pré-existent, et qui peuvent toucher à l’estime de soi, à la représentation de ses capacités et de celles des autres, trop souvent évaluées sur la base d’un critère unique (vitesse, stratégie, connaissances, dextérité, etc.). Gagner ou perdre n’est pas chose futile pour les enfants – ni pour de nombreux parents – car classer génère une représentation du monde et de la place de chacun.e dans ce monde. Si je perds, et si je perds toujours, c’est que je ne vaux rien.
Favoriser les jeux coopératifs est une démarche relationnelle qui insiste sur l’entraide et la solidarité, l’intégration plutôt que l’exclusion, la confiance en soi et dans les autres, et qui suppose la volonté de s’organiser pour atteindre un objectif commun en construisant ensemble les moyens d’y parvenir. Cela impose de s’écouter, de négocier, de partager des points de vue différents. Cela n’évite pas les conflits, et parfois les génère : nous ne sommes pas forcément d’accord sur une stratégie… La question se pose alors : pour éprouver du plaisir, sans perdant-e ni violence, comment allons-nous dépasser ces désaccords sans retomber dans les rapports de force ? Là est l’enjeu de l’apprentissage coopératif… Tester le désaccord dans le plaisir, pour trouver des méthodes de résolution positive pouvant être réintégrées dans nos négociations quotidiennes et lors de nos conflits familiaux. Le jeu coopératif est facteur de rencontre réelle, authentique.
En ce moment délicat, renouer avec le jeu en famille, c’est expérimenter la proximité joyeuse. Au-delà du jeu comme médiateur relationnel, n’oublions pas que « jouer pour jouer » est l’une des plus belles choses qui soient !
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